Page:Adam - La mésaventure, La Revue indépendante, Juin 1888.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les bergeries de Saxe et les Japonaises rêveuses aux plateaux de laque. Ce premier soir de samovar conjugal. En robe à fleurs, Eva flagelle résolument le clavecin de toutes ses bagues apâlies, de tous ses ongles en bataille. Sous sa mantille espagnole, Maman approuve de la tête, et son pied fripon minaude comme aux gloires d’antan.

Pour cette fois, la vie va se jouer sérieusement au décor de l’intérieur conjugal. Finies les répétitions à huis clos, les bagatelles, et la parade sentimentale : voici venir l’amour de résistance, quotidien, marqué au fil rouge et parfumé de saine lavande, par crainte des mites exotiques.

Jean a son air grave de cérémonial. Doucement il tourne les pages de la musique, l’œil au visage de sa femme, comme s’il mesurait les forces incluses en elle et leur efficacité dans les dissensions futures.

Souriante, convaincue qu’il ne saura l’arcane de sa pensée, Eva lui glisse de sûres œillades malicieuses un peu, puis interrogatives.

Car elle sent l’examen s’appesantir, la pénétrer. L’obstination de l’investigateur se filtre jusque l’essence féminine pour y saisir des aspects, indices sur lesquels une induction se pourrait bâtir. Et dans la ronde des sonorités évoquées par les mains en apparat, les âmes s’étreignent pour une âpre lutte. Elle, qui se dérobe sinueuse et fugace, ou livre de semi-franchises afin qu’il s’y prenne, se perde, erre ; — lui, qui cruellement cherche et fouille, halète au moindre soupçon, prêt au mépris peut-être, du moins aux résolutions viriles et brutales, dominatrices. — Ainsi, ils luttent par mots prononcés à peine et qui, pour leur unique initiation, signifient les principes du muet contrat discuté,