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aux bras, à l’auréole, aux épaules, le maintenaient entre des ballots et des vaisselles de cuivre, d’argent, accumulées au hasard : car on avait sans doute brûlé les planches des caisses et des coffres. Autour de leurs montures attelées ainsi, des hussards marchaient, sous des sacs de fantassins courbant leurs épaules. Il y en eut un pour les dépasser, courir vers les remparts et la porte de Smolensk, sans voir que le pont-levis ne s’abaissait pas et qu’on fermait les poternes, que l’infanterie de la garnison couronnait les glacis afin d’en interdire l’approche. Il vint par un sentier. Ses mains s’abritaient dans un bonnet à poil, en guise de manchon. Son colback et son sabre étaient ficelés contre le havresac. Il gardait cependant sa carabine sous l’aisselle. Des haillons verts enveloppaient ses joues creuses, hérissées de barbe brune, et j’aperçus que ses yeux, gonflés, rougis, pleuraient un pus ignoble… oh ! Ma bonne, quel fantôme hideux ! Quelle atroce image de la plus funeste défaite. La sentinelle l’écarta du geste et de la voix… il voulut passer outre, hurlant qu’il n’avait point mangé depuis l’avant-veille. Mais la garde vint barrer le sentier et un sergent le repoussa. L’infortuné chancela, tomba sur les genoux ; et il resta de la sorte à pleurer, étranglé par les hoquets, sans défaire ses pauvres doigts du manchon… " alors, un autre le rejoignit. Celui-là se protégeait d’une admirable mante d’hermine, mais trouée, fendue, presque autant que le vieux manteau de cavalerie qu’il avait en-dessous, que les débris de ses bottes ligotées dans plusieurs bandes sanguinolentes en peau de cheval. Sa barbe et ses cheveux roux le masquaient jusqu’aux yeux enfoncés à demi dans un bonnet cosaque en mouton noir. Il voulut passer. Il annonça qu’il était le colonel du 18e régiment de hussards, et qu’il devait toucher, à Smolensk, la ration pour les trente-huit hommes restant de ses escadrons. Il tira