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Et chacun poussa des exclamations. Napoléon en était là. Oui, en vingt-cinq jours, en vingt-cinq jours seulement, répétait Malvina, les français, partis cent mille de Moscou, avaient été réduits à trente-six mille par les défaites partielles, la maladie, les désertions et les massacres… ― voilà ! Les enfants de la veuve se lèvent contre le tyran, s’écria le bisaïeul. On venge Hiram sur le mauvais compagnon… c’est Stein, le chef des illuminés, qui conseille le tsar Alexandre, entendez-vous ! On verra, on verra… cependant, jamais je n’aurais cru… jamais ! ― ah ! Je les ai vus, moi ! Soupirait la tante Malvina. Durant plusieurs jours, elle déclama ses terreurs, les yeux hagards et les gestes fous. Omer écoutait l’épouvante des récits qui lui demeurèrent à la mémoire, comme les leçons de catéchisme, mot à mot. Avec le souvenir des phrases, l’image de la voyageuse éperdue occupa, de longues semaines, son esprit. Sans cesse, il se la représentait, contant : " je les ai vus revenir, moi ! " j’ai vu revenir à Smolensk ces multitudes effroyables et en lambeaux. La plupart portaient des pelisses de peau de mouton volées dans les isbas. Et quelles figures noircies à l’âcre fumée des bivouacs ! Ils allaient, ils allaient en désordre, autour de longs chariots remplis de meubles, d’étoffes, de tableaux, de vases pris aux palais de Moscou. Tous pliaient sous le faix de leur butin ! Et leurs loques encroûtées par la boue !… et leurs mains enveloppées de chiffons ignobles, mais préservant à demi du froid !… et, dans les chariots, des femmes, des malheureuses, accroupies, paquets de chiffons mêlés aux damas et aux velours des riches étoffes ! Elles grelottaient au haut des charrettes ou au ras des traîneaux… on vit cela couvrir les rives du Borysthène, tout à coup… en avant, un attelage de vingt chevaux efflanqués tiraient au pas une charrette dans laquelle branlait, debout, la statue d’un saint. Des cordes, liées