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avaient expiré dans leur sang répandu. L’empereur, peu à peu, ne fut plus le héros d’une musique de gloire ; il devint le mauvais compagnon, tueur d’Hiram, l’ogre égorgeur des petits, le pharisien crucifiant le bon Jésus. La faiblesse de l’enfant se révolta contre la puissance qui distribue la mort, qui désespère les veuves, les mères, qui fait geindre les vieux savants dans leurs fauteuils à oreillettes de velours. Les pluies de l’hiver battirent les vitres. Morne fut la saison. Les boiseries du cabinet jaune s’assombrirent encore. Tant de nuages épais et noirs roulèrent à la cime des arbres dépouillés, qu’Omer n’espéra plus le retour du soleil. Et soudain la neige tourbillonna entre les halliers bruns. Elle couvrit les pelouses d’un drap immaculé. Dans quelles routes froides la charrette russe traçait-elle ses ornières, avant de ramener l’oncle Edme ? Par un midi glacé de janvier 1813, Omer vit la tante Malvina sauter d’une chaise de poste boueuse sur le perron du château. Elle l’étonnait par ses gestes éperdus, par ses exclamations larmoyantes. Elle était dépouillée de ses élégances admirables et habituelles. Sa " vitchoura " de velours vert et d’hermine parut flétrie, loqueteuse même. Elle découvrit son visage, enveloppé d’une marmotte de fourrure grossière. Cette face jadis superbe était affreusement hâve. Tout de suite elle se jetait aux bras de maman Virginie et pleurait longuement ; puis, calmée, assise, racontait le malheur. Elle avait fui Smolensk en poste, sur l’ordre exprès de son mari, au moment où il y arrivait, derrière la garde. De toute la grande armée, il restait une cohue de mendiants blessés, vêtus de lambeaux, redevenus des sauvages poussés aux pires crimes par la faim et le désespoir… c’était une immense déroute, Moscow brûlé et perdu, Murat battu par Kutusow,