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toute une machinerie coûteuse, qui mangeait du combustible. La compagnie Héricourt ne pouvait donc acquérir seule assez de grains pour la consommation des armées impériales. Elle présenterait bien un tiers de la garantie, en effets à prompte échéance et en bons du trésor ; elle acquitterait d’avance le prix du transport par bateaux jusqu’à Rotterdam, et le fret des navires jusqu’à Dantzig ; mais elle avait besoin dans cette affaire d’une commandite. Or, le château de Lorraine constituait un gage excellent. La banque d’Artois en formation prêterait là-dessus de bon argent liquide. Caroline en répondit. Le projet de contrat était même dans son portemanteau : il n’y manquait que les signatures et le parafe d’un tabellion.

Elle avait fini de coudre. Tenant le fil et l’aiguille attachés encore à la guêtre, elle s’assit sur les talons. Sa grosse tête de chatte blême visait le sourire malin du vieillard, qui secoua ses breloques et dit :

― Ma bonne amie, vous savez, je soupçonne aussi qu’Alexandre ne signera point la paix à Moscou. C’est l’avis de Fouché. Napoléon devra quérir à Saint-Pétersbourg son traité, en plein hiver russe, et à deux cents lieues de ses lignes de soutien, avec une multitude de soldats divers, espagnols, italiens, polonais, prussiens et bataves, fatigués par cinq mois d’une rude guerre, affamés, dépourvus de tout. Il vaincra, parbleu ! mais ensuite ?… Imaginez, je vous prie, le retour de ces hordes à travers l’Allemagne entière, l’Allemagne lassée de nourrir les troupes impériales et de subir leurs bravades. La révolte couve dans toutes les cités que, depuis un siècle, l’illuminisme exhorte à la liberté. Oui : quand ils croyaient que les divisions françaises apportaient, avec elles, la République et la ruine des rois, les illuminés d’Allemagne et les francs-maçons, la bourgeoisie, les artisans, accueillirent nos drapeaux. Mais Napoléon est seulement un monarque plus