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des troupes : l’Empereur les menait trop loin de leurs appuis naturels par delà les sables et les forêts de Lithuanie. Rarement Augustin avait commis des erreurs en instruisant des probabilités utiles aux spéculations de la compagnie Héricourt et aux fournitures militaires. Il avait prévu les chances d’Iéna, la prise de Lübeck et les négociations de Tilsitt, avant le comte de Praxi-Blassans lui-même. Tous deux niaient qu’à Moscou la paix se pût conclure. Donc, l’armée devant rester de longs mois en campagne, ne serait-il pas habile de faire parvenir là-bas, pour les vivres, quelques convois de blé ?

Poussive, elle s’arrêta. Le parrain souriait en jouant avec ses breloques maçonniques. Caroline pêcha dans son réticule une lettre, et pria le vieillard de lire, pendant qu’elle s’attardait à fixer le bouton de guêtre par mille points.

— Oui, oui, Augustin et moi, — répondit-il, — nous pensons de la même façon là-dessus… Envoyez du blé en Russie, Mme Cavrois. Envoyez vos blés d’Artois !

Elle se moucha longuement ; puis, la tête baissée vers l’ouvrage, elle exposa en phrases brèves et simples l’essentiel de son désir. Elle souhaitait que le bisaïeul, aidé de Virginie, achetât la moisson du pays lorrain. On leur livrerait à meilleur compte : une personne étrangère est aussitôt soupçonnée de spéculation par les paysans. En outre, Caroline manquait d’argent, à cette heure. Sur le conseil du chimiste Balthazar Claës, son ami de Douai, elle avait voulu cristalliser le jus de betterave, et le vendre comme le sucre de canne que les navires n’apportaient plus des Antilles, depuis le blocus. À Paris déjà, beaucoup de cafés, de tavernes débitaient ce produit. Toutefois les frais de l’usine étaient considérables, bien qu’un associé, M. Crespel, y participât. Caroline avait dû récemment payer la maçonnerie, les alambics, les chaudières et les fours,