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d’évêque. Qu’elle eût dissimulé sa fortune sous les apparences sordides, cela lui semblait un art excellent, qui la faisait double, la rendait mystérieuse, lointaine, un peu divine.

À quelques jours de là, comme maman Virginie discutait de ses fermages en compagnie des métayers, dans le salon aux colonnes blanches, Omer se trouvant avec le bisaïeul et la tante Caroline, l’entendit déplorer qu’un bouton pendillât par le fil à la guêtre du vieillard.

Négligeait-on les soins nécessaires ? Mme  Cavrois promit de gronder sa belle-sœur. Aussitôt, du réticule pendu à sa chaise, elle tira une aiguillée, puis s’agenouilla pesamment, auprès de la jambe. Malgré les représentations du parrain, elle entreprit de recoudre. Attentive et lente, elle étalait un large dos marron ; la ceinture entourant les aisselles écourtait le buste ; le reste du corps était comme un sac de velours trop rempli.

D’abord elle vanta son frère cadet, le colonel Augustin. Elle excusa l’enfance du mauvais diable qui jadis avait fait sauter avec de la poudre le bénitier de l’église, à Sainte-Catherine-Lez-Arras. Plus tard, le démon s’était enfui des moulins, pour rejoindre leur aîné Bernard, et s’engager à seize ans dans le corps de Lecourbe ! La providence avait choyé le scélérat. Il avait épousé une hollandaise opulente. Maintenant il entrait à Moscou, colonel de trente ans. À quelle gloire n’atteindrait-il pas « si… Dieu nous garde ! » gémit Caroline en se signant. Omer se rappelait l’oncle à la mine sévère et à la voix douce, et sa belle femme qui lui avait donné le petit cimeterre turc, aujourd’hui brisé.

Ayant étendu sur une chaise la jambe du podagre, la tante recousait le bord de la guêtre. Elle enfonça l’aiguille, continua de parler. À l’en croire, Augustin Héricourt écrivait des choses fâcheuses, sur la situation