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Très habilement il esquivait les corrections. Aux genoux de maman Virginie, Médor, attentif à la possibilité d’un fâcheux accueil, posait doucement deux lourdes pattes fauves ; il aplatissait là son museau de berger à poil rude. Il fût resté des heures immobiles, confit dans la satisfaction de mêler à la chaleur humaine celle de son corps, noir et gris sur le dos, blond sur les cuisses. D’autres heures, étendu contre une marche du perron, il veillait au soleil, pour aboyer terriblement vers les loqueteux, les colporteurs et les courriers.

Si Médor eût permis qu’on l’enfourchât, tel qu’un cheval, les prévenances de son amitié eussent été complètes. Mais il se dérobait, d’un brusque mouvement, ou s’accroupissait, le malicieux, afin que le cavalier glissât. Même, après une insistance trop impérieuse, le chien grogna des menaces avant de se retirer à pas majestueux, l’œil de coin.

Donc, Omer apprit que la suprématie trouve des bornes devant les meilleures volontés. Il s’en étonna. Le chien, cet ami des premiers temps, lui devint un sujet parfois rebelle et hostile qu’il craignit de dompter, à cause des crocs visibles sous les babines barbues.

Ce fut, dans le parc d’été, une défaite qui lui blessa l’orgueil profondément. Il se jugea diminué. Plusieurs jours, près de son théâtre, il décousait machinalement le galon des marionnettes, par revanche de sa honte qui avait connu la révolte d’un inférieur, et ne l’avait pu soumettre. L’idée de vengeance naquit en sa méditation.

Marquer sa puissance par le mal, faire comprendre la réalité de sa force en infligeant une peine, ce lui parut juste. Céline ne le secouait-elle pas à l’heure où il était surpris avec un sarrau tout sali par la terre des plates-bandes, une collerette froissée, des mains grasses ? Le bisaïeul ne privait-il pas son élève de gâteaux, cer-