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loir : un élan qui n’avait pu s’envoler parmi les sons, qui battait de l’aile, comme un oiseau blessé, à terre. Omer souffrait d’être le seul qui ne partît point vers les espaces. À voir sa mère éperdue laisser les finales mourir, il la devinait éprise de cet inconnu qu’il aimait en elle plus savante pour le concevoir. Alors, s’il courait aux genoux de la veuve, s’il se hissait entre les bras accueillants, s’il écrasait sa bouche contre la joue offerte, s’il se pouvait blottir dans la chaleur du corps, s’il sentait deux lèvres à son front, cet élan trouvait le but dans l’étreinte maternelle, apaisante et consolatrice.

Sa mère lui fut apprise ainsi, pendant les soirs d’hiver, dans l’oratoire du château. Elle fut le terme de ses aspirations violentes, l’abri sûr contre les souffrances, un lieu de satiété où les désirs s’endorment.

— M’aimes-tu bien ?

— Oh ! oui, maman !

Tout autre que la Picarde, elle inspirait plus d’affection. Au bras de la servante, Omer se trouvait à l’aise : des heurts et du froid, on le protégeait ; on lui servait de véhicule pour avancer sans fatigue, et de perchoir pour découvrir au loin ; de siège pour être vêtu, dévêtu, lavé, peigné, bercé. Il aimait Céline ainsi qu’une part de lui-même, un autre corps, de vigueur et de stature mieux appropriés aux besoins de la vie. Maman Virginie, il l’admirait, ainsi qu’un être très différent de tous, supérieur. En elle aboutissait le vœu d’un bonheur obscur, mais certain ; d’elle tout dépendait : l’ordre de la maison et la succulence du repas, la promenade, la prière, la musique et la joie d’être chéri, non comme un animal amusant, mais comme une vie précieuse.

Omer concevait clairement ces idées, bien qu’il n’eût pu les dire. Dans les mains de Céline, il jouissait mieux des choses ; dans les mains de sa mère, il jouis-