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Que restait-il de maman Virginie, de son fourreau de satin vert, de ses bas de soie chinés, des mitaines gantant les beaux bras jusqu’au bouffant de l’épaule, de sa collerette évasée à la nuque, de ses chaînes d’or roulant sur la gorge, de son diadème émaillé, de sa chevelure aux boucles aplaties contre les yeux joyeux ? Une autre, elle était : une autre, morose et austère, semblable aux religieuses qui font peur à cause de la corde pendue à leur taille pour flageller. Elle était une autre depuis cette mort du père, en l’honneur de qui toute la famille subissait il ne sut jamais bien quelle punition.

À l’oratoire, Mme  Héricourt l’asseyait d’abord, docile et timide, sur ses genoux. Chaque soir, l’embrassant, elle répétait qu’il se trouverait seul au monde quand elle aurait rejoint au ciel le défunt. Il faudrait alors obéir, très sage, à tante Aurélie. Ces paroles navraient Omer : c’était moins la peur de perdre maman Virginie que celle de subir, un jour, s’il retournait à Paris, les façons colériques de son oncle, le comte de Praxi-Blassans. Ce parent terrible distribuait de rudes pichenettes aux mains caressant les vases bleus, les statuettes d’ivoire, les cent objets précieux en apparat dans les salons de l’hôtel, au faubourg Saint-Honoré.

De l’en préserver Omer suppliait Jésus, lorsque, les doigts joints sur le prie-Dieu, il redisait mot à mot l’oraison de la mère. Sa confiance ne doutait pas d’être exaucée. Qu’un enfant comme lui, que Jésus, des genoux de la sainte vierge pût conduire les destins, il s’en étonnait, il s’émerveillait et adorait, mais ne soupçonnait pas l’évidence d’une foi que démontraient au dehors les images séculaires, la splendeur des églises, la richesse des chasubles et des dalmatiques, l’or des ostensoirs, et surtout la puissance des orgues. Si le mot « empereur » signifiait pour lui le son glorieux des clairons entendus au passage des troupes, le mot « Jésus » signifiait l’harmonie versée par les voix