Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

omis le rendez-vous au Palais de Justice. Peut-être refuserait-elle mes avances… Elle refusera, si elle est la vaillante que je devine, car elle m’accuse de couardise. Je suis pour elle un petit garçon curieux, timide et lâche, qui n’ai point osé revenir devant les gendarmes… Comment son désespoir d’héroïne accueillerait-il la requête d’un amant aussi piteux ? Elle se déroberait… Où la rencontrer, quand même ? Quels portiers interrogerai-je ? Quelle piste suivre dans l’énorme Paris ?… Me voici déjà las de cette recherche que je n’ai pas commencée… À quoi bon ?… L’aventure finit comme ça…

» La Providence voulut m’instruire sur la fragilité de ma raison. Elle appela sur mon chemin une fille qui me parut déesse. Le parfum qu’exhalait sa poitrine enivra la fièvre de mes seize ans. Les circonstances de notre rencontre lui prêtèrent la magnificence d’une héroïne tragique. Elle a tout été dans mon esprit : la femme de volupté et l’amante fatale qui jette les fleurs sur le billot d’un martyr, après l’espionne astucieuse dont les caresses enchaînent, dont le baiser trahit, dont l’astuce livre. Mes sens et mon imagination l’ont éperdûment désirée. Ma raison l’a crainte : j’ai obéi à ma raison. J’ai bâillonné la bouche de mon instinct ; je n’ai pas écouté les voix séductrices de mon imagination… J’ai cru que ma mère, en priant au loin, avait averti mon imprudence capable de nuire à l’oncle Edme et à ses amis. Tout ce que j’estimais subtil en moi confirmait ma foi dans ce miracle et, par conséquent, le péril de m’abandonner à cette passion naissante. Or voilà qu’aujourd’hui la Providence remet cette femme sur mon chemin pour me la montrer sincère, héroïque et belle d’âme comme le supposait l’ardeur de mon rêve… Ah ! ma prétendue sagesse, qui a troqué tant de bonheur possible contre l’orgueil inutile et faux d’être un esprit adroit, prévoyant, pieux. Ô Dieu ! Comme vous