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de grandes actions. Loin d’eux, il s’avouait n’avoir eu qu’une âme de défaite, une âme de résignation. Et ces quatre pauvres soldats allaient mourir pour avoir vécu complètement, eux, et en toute intensité, quelques brèves heures d’une semblable passion. C’était presque à la mort de son âme qu’Omer assistait, transi, malgré la moiteur de l’air et les chaudes odeurs que dégageait le poil de sa monture.

À ce moment, les gendarmes rassemblèrent les rênes. Les lourds chevaux du peloton s’ébranlèrent. Ils avançaient au son de leurs pas ferrés, au bruit des gourmettes. Les cavaliers n’osèrent pas voir la haine du peuple : ils regardaient, droit devant eux, les lignes de baïonnettes, et le pavé vide, puis les réflecteurs luisants des réverbères. Après eux, après leurs dos barrés par les bandoulières des gibernes, après les ganses blafardes de leurs bicornes, et les croupes larges de leurs bêtes, deux haridelles trottinèrent, attelées à un carrosse noir qui contenait, invisible, le bourreau. Le cœur d’Omer se crispa. Il lui fallut soupirer douloureusement.

Une escouade précéda le cheval qui allongeait l’amble, entre les brancards de la charrette à claire-voie. On vit un fier adolescent blond. Son œil défiait les troupes. Il semblait un martyr triomphant de foi, dans la blancheur de sa chemise que soulevait sa poitrine oppressée. Il aperçut les cochers de coucous, les chapeaux levés des étudiants, des calicots et des demi-soldes, le mouchoir écarlate du jeune homme pâle. Alors il dirigea vers eux son regard ébloui d’espérance. Rien ne bougea dans cette masse qui, certes, attendait un signal. La charrette roula, cahotant le fier soldat, un prêtre poudré sous la calotte noire, et un gardien malingre.

À la suite de trois gendarmes à cheval, la seconde charrette emportait une sorte de colosse brun, au front