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hasards d’une émeute pour délivrer leurs « bons cousins ». Le capitaine Lyrisse avait toujours vanté les dévouements romains et les courages mystérieux de ses amis ! Omer ne douta point d’assister à une scène grandiose, où reparaîtrait l’élan de la liberté latine en lutte contre les rois. Sa mémoire des auteurs classiques assimilait aux Brutus les amis inconnus des condamnés. Il déplora que la raison et les circonstances le retinssent dans l’autre parti. Mais il souhaitait furieusement la réussite du complot et la délivrance des victimes. De ce spectacle probable il attendait des émotions très vives. Pendant toute la première partie du jour, il trembla de ne les pouvoir éprouver.

Enfin les peines de maman Virginie se turent. L’herboriste vint la saigner à deux heures, et la faiblesse qui suivit la perte du sang lui valut un peu de sommeil. Omer envoya chercher son cheval au manège. Il se mit en selle et trotta vers le Palais de Justice.

En silence lugubre, des gens se hâtaient le long du quai. Des rues ils sortaient en bande, la canne au poing. Un peloton de gendarmes au grand trot passa, la jugulaire à la lèvre, et la mine dure, dans un cliquetis de fer. Les redingotes brunes, les chapeaux militaires et les gourdins des policiers apparurent au débouché des passages, sous les potences des réverbères, devant les fontaines publiques, près des marchands de coco, dont le kiosque portatif attirait en groupes les buveurs. Derrière les échoppes des savetiers et des ravaudeuses se dissimulaient maintes silhouettes de mouchards, reconnues, puis raillées par les commères qui avaient, autour de leurs coiffes, noué des rubans noirs ou rouges. À mesure qu’Omer s’approchait du Pont au Change, l’affluence s’augmentait moins de populaire que de petite bourgeoisie. Polonaises à brandebourgs, chapeaux poilus, habits marrons, pantalons de casimir, gilets à châles, habil-