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bouquet de fleurs pour mettre à son cœurc’est pour vous, c’est pour moi que Jésus est mort en croix ! et le monde avec son Dieu, avec Jésus, avec ses pareils, les petits enfants de miracle, avec le Poucet, le claveciniste, le monde renaissait au son du cantique. Le monde, c’étaient les boiseries grises de la salle vide, la table du bisaïeul tout éclairée par la lueur du quinquet, ses paperasses en tas, ses livres, l’écritoire d’argent noirci, les plumes d’oie éparses, la lourde montre bavardant au fond d’une coupe, la tabatière d’ivoire, son ovale de pierres étincelantes où paradait la belle dame peinte, entre les sceaux de cire verte attachés aux rouleaux de plusieurs parchemins. Parmi l’ombre, se dessinaient les lyres formant le dossier des chaises, les tentures de velours jaune tirées devant les fenêtres, la nymphe en marbre sur la cime de la demi-colonne. Par delà, les fourchettes des dîneurs frappaient les assiettes. C’étaient le gloussement d’une bouteille qu’on vidait dans un verre, la voix maîtresse du grand-père, le ton criard et saccadé de l’ancêtre, une odeur de rôti que tout à coup l’appétit désirait : " j’ai faim ". ― allons manger la bonne sousoupe, promettait Céline ; la bonne sousoupe du petit garçon qu’on va débarbouiller… et Denise ? Où elle est, ma sœur Denise ? ― elle est à Paris, chez tante Aurélie… elle se laisse débarbouiller… ah ! Qu’elle sera donc étonnée de voir un petit frère qui se laisse débarbouiller aussi, sans pleurer, comme un grand… hébété de sommeil encore, Omer se résignait au supplice de l’éponge dans l’office. Les servantes s’injuriaient à voix basse, en portant les plats. L’épaisse cuisinière ressemblait à une grosse poule dont le plumage se fût gonflé au-dessus des pattes, à