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serrés, les terreurs qui beuglent, les blessures d’où jaillissent les fontaines de sang noir et tiède… À ce moment, des faux invisibles coupent les membres, tranchent les ventres. Les intestins coulent des plaies. Les mâchoires sautent des bouches avec des lambeaux de joues. Les échines sont cassées en deux, ainsi que les branches sous le genou d’un bûcheron robuste. Des morsures creusent la vie pantelante. On souffre à peine de la torture présente, tant on redoute la torture prochaine… Les poitrines s’ouvrent à deux battants, tandis que les nerfs se rompent comme des ficelles étirées, que les chairs se déchirent comme des étoffes, que les viscères pendillent au bout des veines bleues…

Immobile dans le fauteuil, Virginie contemplait le cauchemar, muette subitement. Ses gros yeux saillaient des paupières inertes ; ses mains tremblaient sur ses genoux, et des frissons la traversaient…

― Les mots manquent pour décrire — reprenait-elle. ― Et qui sait ? J’ai peur de décrire… Les choses se réaliseraient peut-être, si je les racontais toutes… Ce sont des mystères indicibles… Oh ! cette rapidité de douleurs en torrent dans lesquelles on roule, tandis que les moitiés du corps fendu en deux heurtent on ne sait quels rocs, on ne sait quelles créatures visqueuses et plates mêlées aux flots des damnés… Et puis il y a des apparitions… Souvent, j’aperçois Bernard, qui repousse la lourde terre et l’herbe de sa tombe : il a son casque de dragon sur sa tête pourrie mais reconnaissable pourtant, ses épaulettes d’argent, son habit vert, et sa croix ; au lieu de jambes, il entraîne des débris fangeux et sanglants dans la chute universelle… La colère de son regard cherche Napoléon, que je vois alors descendre avec un flot de soldats hargneux qui le percent de leurs baïonnettes, qui l’amputent avec leurs sabres, qui l’atteignent à coups de feu ; les boulets emportent ses membres, repoussés aussitôt