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Alors un drame atroce fut au cœur d’Omer, en son cœur de seize ans que l’amour, tout à coup, foudroyait. Il sentit une passion démente pour cette fille le pénétrer et le soumettre ; passion ancienne, longuement choyée dans les livres, aux heures ardentes de la puberté que les murs du collège emprisonnent ; passion d’une chair nerveuse qu’enivraient les chaudes odeurs de ce corsage vivant et soupirant presque contre lui ; passion d’une intelligence qui, durant des mois, avait voulu la possession de cette même déesse, grande, sévère et rude, sur les gravures. C’était l’imminence d’un bonheur indubitable, d’une félicité à la fois sensuelle, active et mentale, sans pareille. Il lui fallut se contraindre pour ne pas saisir cette femme comme un fruit magnifique, qu’on cueille et qu’on savoure. Un instant, il se vit dans un paysage de printemps : elle, consolée par leur amour en pleurs, se résignait noblement à subir le triomphe de la tyrannie ; ils souffraient ensemble, avant que de confondre leurs sanglots avec leurs baisers… Tous les vers de Lamartine accourus en sa mémoire l’engageaient à connaître cette vie sublime de larmes et de luxure. Puis le soupçon criait son avertissement sinistre. Omer s’estimait incapable de cacher les secrets de l’oncle Edme et du bisaïeul aux curiosités de cette fille superbe, mais équivoque et rencontrée dans un endroit qu’infestaient les gens de police. Comment se garderait-il contre les caresses d’une telle femme, et dans les langueurs d’un tel amour ? Et c’était une lutte déchirante, en son être qui chancelait.

Au milieu de la galerie à peu près déserte, leur silence se prolongea. Derrière la vitrine d’un magasin de débauche, trois jeunes filles à demi nues, sous des toilettes de cour en dentelles brodées d’argent, somnolaient, pareilles à des statues peintes, sur des sofas de velours impérial et de bois doré. Comme il se promet-