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discrète, longue et nourrie de sublimes tristesses.

Il ne répondit point, refusa de comprendre. Elle discourait encore. Elle s’exalta. Même, cette voix qu’il étudiait révéla de la franchise. Peut-être Denise se croyait-elle éprise de la gloire, en fille de soldat. Peut-être n’avait-elle pas été conçue entre deux campagnes sans avoir gardé les espérances de victoire qui échauffaient alors le cœur de son père. Omer l’écoutait dans la nuit bleuâtre. Elle décrivit la succession de ses sentiments. Petite, elle désirait le mariage noble, comme un affranchissement de la médiocrité où vivait leur mère. Parvenir au luxe des Praxi-Blassans, et le pouvoir dire sien, lui semblait le rêve. Maintenant elle pesait les obligations inévitables. Outre Édouard, c’était la colère maniaque du comte qu’elle épouserait, son autorité sévère, l’acrimonie quotidienne de Delphine, la froideur d’Émile, qui relevait tous les défauts de sa cousine, qui combattait sa gourmandise et ses façons indépendantes, qui la fuyait ostensiblement, avec l’affectation de ne se commettre pas en si vulgaire compagnie.

― Ici, chacun exagère mes défauts ! s’écria-t-elle. Personne, sauf Édouard, ne rend justice à mes qualités. Et personne non plus ne blâme les défauts des autres. Le comte peut imposer ses longs discours endormants : qui les lui reproche ? Ma tante peut pleurnicher à son aise, et relire à haute voix des vers insupportables, du matin au soir : on feint d’y prendre plaisir. Delphine peut soumettre la vie commune à ses heures d’offices, aux engagements de ses neuvaines, aux visites de religieuses moroses et ridicules dont la présence interdit les gais propos : chacun la loue de sa piété acariâtre, ou bien la lui passe. Émile peut battre, à coups de fouet, ses chiens de chasse qui hurlent, les pauvres bêtes ! c’est parfait ! Moi seule suis en butte à toutes les récriminations. Le comte m’accuse de m’ha-