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ses parents, dans leur cabinet de musique. On l’admirait autant que l’on admire ta tante Aurélie de Praxi-Blassans, tu sais, quand chacun se tait pour écouter sa harpe… et quand tu t’amuses en silence avec les bijoux de ma montre… Or il arriva que les parents de mon père furent ruinés ; et devinrent pauvres, pauvres comme ceux qui mendient devant la grille…

― Pourquoi ? Dis pourquoi !… ― supplia l’enfant consterné de ce qu’un pareil malheur lui pût échoir.

― Parce qu’il vint à Paris en ce temps-là, un mauvais génie qui s’appelait Law. Il promit des montagnes d’or à quiconque lui remettrait ses écus contre un papier. Il charma beaucoup de gens par son éloquence et ses maléfices. Aussi lui donnèrent-ils leurs bourses ; d’autres vendirent leurs champs, leurs maisons, leurs meubles, leurs carrosses pour offrir davantage, afin de recevoir en échange le centuple. Un jour, le mauvais génie disparut. Et mes grands-parents restèrent avec un méchant bout de papier inutile… Mais le petit garçon, quand il apprit ça, que penses-tu qu’il fît ?… Il s’en fut de ville en ville, offrant de jouer du clavecin devant les amateurs de musique. Il était si bel à voir, et il s’en tirait si habilement, qu’on se pressait dans les auberges où il annonçait sa venue, dans les châteaux où il était mandé par les seigneurs désireux de réjouir leur compagnie. En récompense, on donnait à son père des bourses bien remplies… Agirais-tu de même, toi, si nous devenions pauvres ? Non… Alors, comment s’accommoderait maman Virginie ?

― je ne sais pas ! ― avouait l’auditeur, tout confus.

Ça l’humiliait de ne pas savoir. Boudeur en face de celui qui l’acculait à un aveu d’impuissance, il traînait son doigt au bord de la console. Ce garçon exemplaire ressemblait au Petit Poucet, dont les exploits surpassent toute imagination. Que d’heures Omer avait envié son astuce ! La Picarde pouvait indéfiniment recom-