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main tremblait mollement à la pomme de la canne. L’œil, plus grave, s’enfonçait aux creux des sourcils en broussailles. Quelles choses, quels cortèges, quels régiments, quels peuples invisibles aux autres gens, le magicien voyait-il passer dans le ciel obscur ? Il oubliait même de reprendre ses breloques d’or, la truelle un peu bosselée, le marteau un peu déformé, l’équerre un peu faussée, l’étoile un peu écornée, qu’Omer n’osait pas fourbir avec le coin de sa veste. Des miasmes de chagrin s’élevaient de partout. Une lourde nuée couvrit d’ombre la façade du temple en bois. L’enfant craignit un péril inconnu, mais prochain. Il se conçut trop débile pour l’écarter au moyen de sa force. Il eut peur. Ses os gelèrent en lui. Derrière son dos, des silhouettes menacèrent, qu’il ne voulut pas voir. Confesser à haute voix sa terreur lui parut dangereux : les puissances mauvaises eussent hâté leur action prématurément découverte. Alors il inventa de crier :

― Parrain, parrain ! Et l’histoire !… Tu n’as pas dit l’histoire !

Et sa ruse l’emporta, puisqu’on ne parut pas deviner le malaise de sa peur.

― Ah ! Oui, l’histoire…

La vieille figure s’égayait. Elle rassura. L’ancêtre puisait en sa tabatière d’ivoire, où la belle dame était peinte dans un ovale de pierres brillantes. Il s’accouda plus commodément, sourit, et regardant Omer dont il prit les menottes entre ses doigts, il narra :

― Il était une fois… jadis… oh ! il y a longtemps… il y a près de cent années…, un petit garçon comme toi : mon père… Sans doute me croyais-tu mon propre aïeul hein ? en me voyant si vieux… Eh bien, pas du tout !… Mon père fut aussi un petit garçon, avec de bonnes joues pleines, et des boucles longues… À dix ans, il touchait du clavecin le plus habilement du monde… Si bien qu’on venait de toute la ville pour l’entendre, chez