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tune ? Parfois le jeune homme accusait de rigueur son jugement sur elle. Il raisonnait :

« Elle m’embrassa, véritablement confuse de sa faute que j’avais surprise. Ou bien n’était-elle pas confuse, plutôt, de penser que, malgré ses dénégations, je persistais à la croire encline à trop choyer un oncle généreux ? Était-ce le repentir ou bien mon offense à sa vanité qui lui donna de la honte ? Ne proclame-t-elle point, au milieu de toutes les discussions, son indépendance ? Je l’entends d’ici : « Apprends que je ne serai jamais une victime ; je ne le veux pas !… Je ne le veux pas !… Je ne laisserai personne dominer la fille du colonel Héricourt… Dussé-je périr, je ne me soumettrai que s’il me plaît de me soumettre ! » Je me rappelle son visage crispé par la colère, ses grimaces inondées de larmes, ses poings qui frappent l’air. Ma tante Caroline l’assure : ce caractère entier, violent, est celui même de notre grand-père Héricourt ; et ses deux épouses moururent à la peine, tant il les harcela de ses fureurs, pour obtenir la plus grande somme de travail, cette activité, cette économie, sources de notre aisance.

« Oh ! Oui, Denise montre bien le même génie âpre et calculateur qui sut acheter les biens nationaux, embrasser à temps la cause jacobine et bâtir les Moulins, vouer les fils du premier lit aux commerces de la mer, marier les filles du second lit à un diplomate puissant, à un fonctionnaire influent, et jeter les deux cadets à la conquête de l’Europe, derrière Napoléon. Encore que je ne l’aie pas connu, il me semble écouter ses conseils quand ma sœur expose, entre nous, la nécessité d’anoblir, en s’attachant aux serviteurs du roi, nos domaines acquis sous la Révolution. Le comte et le général l’approuvent. Il n’y a que les vaincus, les Lyrisse pour la blâmer. Elle a raison quand elle affirme : « Il ne faut pas être des vaincus. » L’héritage de l’oncle Augustin lui paraît à présent désirable, car la guerre