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À l’heure du réveil, il l’avait toujours vue maussade et fanée. Il savait trop la nuque blême, les rougeurs parsemées fréquemment sur le visage, les mains sans finesses, le mauvais teint d’une enfant gourmande, les petites dents ternies et les cheveux de ficelles emmêlées avant la toilette. Certes, les soirs de fête, quand les atours sanglaient la taille flexible, quand des fleurs fraîches unissaient leurs couleurs humides aux tresses luisantes et dorées, quand l’usage discret du fard avait blanchi les tares de la peau, quand un emplâtre de cantharides secrètement collé à la hanche avait mis aux joues et aux yeux les flammes d’une fièvre légère, elle semblait quelque bizarre créature tour à tour angélique et démoniaque, spirituelle, belle, alerte et redoutable, dégagée de toute crainte mais imposant du respect. C’étaient les moments d’exception. Par les corridors, le matin, emmaillotée de peignoirs sales aux parfums de poussière, affligée d’un bandeau qui contenait une fluxion naissante ou décroissante, elle allait de chambre en chambre, bavarder et bâiller, les pieds nus et rouges dans des savates de velours à trous. Elle se montrait alors insolente pour maman Virginie qu’elle traitait de « vieille folle ». En outre, elle mâchonnait toujours quelque rogaton volé à la cuisine. Ainsi l’avait-il vue jadis et naguère, durant les semaines qu’elle ne passait point chez les Praxi-Blassans, par hasard. Brutale, robuste, elle le souffletait à la première réplique. Heureusement que le comte l’avait, de bonne heure envoyée au couvent d’Esquermes.

Que Denise redevînt telle dans son intérieur, après les noces, son frère n’en doutait pas. Édouard lui inspirait de la commisération. Fallait-il l’avertir ? C’était un problème agité sans fin par ses réflexions. Qui convenait-il de tromper ? Le loyal cousin, poétiquement, naïvement épris, ou la sœur qui poursuivait en cette affaire les seuls avantages de la noblesse et de la for-