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se désagrège et retourne vite à l’animalité. J’ai vu ça de près en Russie pendant la retraite… Quand les officiers supérieurs eurent perdu tout prestige, nos soldats se pillaient, s’assassinaient, achevaient les faibles pour leur voler la part de butin. Certains jours, je me suis cru à une de ces époques reculées dont parlent les savants ; et il me semblait, me rappelant ma vie antérieure, que j’avais rêvé une période future et fabuleuse, un âge d’or…

Omer aussi gardait à la mémoire le spectacle de la foule en liesse sur l’esplanade des Invalides et la vision du vieil ouvrier qui, jacobin sans doute, trente ans plus tôt, avait acclamé la Convention, et maintenant, en gratitude de son ivresse, acclamait le roi.

À son épaule, la main de l’oncle était fraternelle ; À son oreille, la voix s’insinuait, sceptique, sincère, désenchantée, camarade. Le jeune homme se félicitait de paraître en frac, le poing dans le jabot, près du parent magnifique, qui se donnait la peine de le séduire. On souriait de les voir en confidences. Alors s’approchèrent des hommes en habit de cour fleuri d’argent, en habit d’académicien fleuri de soie verte, en uniformes blancs d’infanterie ; puis des suisses rouges, des gardes du corps bleus, un prélat en soutane violette. Le général les saluait brièvement, présentait le fils de son frère, qu’il n’avait point revu depuis des années, et marquait, en s’excusant, le souci de s’entretenir avec lui seul. Les mines légèrement surprises et vexées de ces potentats ne furent pas sans contribuer à rendre l’oncle plus chérissable.

Cependant Omer défendit ses opinions ; il voulut ne point sembler faible et versatile : tourner trop brusquement la voile au vent nouveau eût été nuisible. Sans combattre les avis insidieux de son parent, il résuma les convictions du bisaïeul et du capitaine, puis déclara s’y tenir en son for intérieur. Si l’on s’accordait à lui