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occupations, je puis te persuader du sain état de mon esprit, je veux le faire aussitôt, dans l’espoir que mes prières gagneront sur ton entêtement.

« Mon père nous a quittés pour se rendre à Saumur auprès de la femme d’Edme, qui s’y trouve seule, en butte aux avanies de la police, par la faute de son mari. J’ai dû reprendre la direction des travaux agricoles, et malgré ma lenteur dans la marche, voyager toutes les après-dînées, d’une métairie à l’autre. On attelle ton âne à la petite carriole, Céline le conduit, et nous allons comme ça, jusqu’à la brune, surveiller les semailles de printemps. Ce n’est pas mince affaire. Le tâcheron vole du grain : on ne met pas en terre la moitié du sac. Il faut y avoir l’œil. Au bout de la journée, je n’ai pu même lire complètement mes offices.

« Le matin, j’ai ma basse-cour. La vente des volailles au marché de Nancy nous fournit la rente qui paye les gages de nos gens. Aussi je soigne mes couvées : sur dix ou douze œufs, c’est le plus si l’on peut mener à bien l’élève de huit poulets ; encore souvent en conserve-t-on six, ou trois seulement. J’ai perdu ce matin quatre canards étouffés sous la poule. Les rats ont ravagé deux nids de couveuses, la semaine dernière, dans l’étable dallée ; et, quand mes poussins viennent au monde, il faut les nourrir au pain et au lait, les transporter au soleil sous la mue, avec leur mère, veiller à leur boisson. Si j’abandonne ces mille petits soins au jardinier, ou à Céline, ils en omettent la plupart, et les poussins meurent. Dimanche, j’étais restée à l’église plus longtemps que d’habitude, à cause de la sainte communion que j’ai reçue à l’intention de ton salut ; je voulais assister à une seconde messe. À mon retour, dix de mes poussins s’étaient noyés en buvant au bol qu’on avait trop rempli.

« Voilà des malheurs que je puis, moi seule, éviter. Cela m’occupe une grande partie du jour. Par éco-