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brasser à l’occasion de Noël. Il est parti pour Béfort, la semaine dernière, dans l’intention d’acheter des instruments de labour ; mais il a emporté son uniforme de général de l’Empire. Je ne m’en suis aperçue que le lendemain. J’aurais dû me douter de quelque folie : M. Kœchlin, le maître de forges, et un officier, M. Armand Carrel, étaient venus faire visite à mon grand-père et à mon père, vers le 15, et ils s’étaient entretenus, en secret, tous les quatre, pendant deux jours, dans le cabinet jaune. J’apprends aujourd’hui qu’une conspiration a échoué à Béfort, qu’on a saisi chez le colonel Pailhès, l’ami de ton père, des aigles, des étendards et des cocardes tricolores, que les trois bataillons du 29e de ligne en garnison à Béfort, Neuf-Brisach et Huningue devaient prendre part à cette révolte impie contre le meilleur des rois légitimes, qu’un sergent rentré de semestre, le soir même, s’étonnant de voir les pierres mises aux fusils des soldats, à une heure indue, fut tout dire au commandant de place, qu’on vient d’arrêter le colonel Pailhès, avec M. Buchez, un étudiant en médecine que connaît bien mon frère Edme, et une foule de gens. Ton parrain est aux cent coups ; il brûle des papiers. Enfin, tout à l’heure seulement, un postillon allemand est venu nous avertir que mon père était sur l’autre rive du Rhin, hors d’atteinte, et qu’il doit revenir avec deux charrues et un semoir. Apparemment, il aura feint d’avoir passé la frontière pour acheter, comme s’il n’avait pas trouvé son affaire à Béfort.

« Tant de malheurs sont permis par la Providence pour avertir notre famille du mécontentement de Dieu. Ne serviront-ils point à la convaincre ? Quant à moi je suis à bout de forces. L’échafaud menace l’auteur de mes jours, après que la guerre m’a rendue veuve toute jeune. Je t’en prie, mon fils, demande à ta tante Caroline si elle ne veut point m’offrir un asile. Quel que soit