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― Pas même les délices d’un amour passionné ?

― Non. À l’amour j’ai pourtant donné un peu de moi. J’avais vingt-quatre ans lorsque je me mariai, de façon assez étrange. C’était en 1759 ou 1760… J’étais un « visage de plâtre » comme on surnommait alors les jeunes officiers à cause de la poudre de nos perruques qui nous inondait la figure et les épaules. Je portais, à cette époque, l’uniforme des chevau-légers de Rohan, comme mon père. Il avait été pris à la bataille de Rosbach et enfermé dans une forteresse des Impériaux ; la peste s’était mise parmi les captifs ; il en mourut comme bien d’autres hélas ! Je vivais, à Marseille, dans ma garnison, seul et désenchanté de la guerre, du monde lorsque l’illustre médecin juif Martinez Pasqualis se présenta dans notre loge de la Parfaite Union, celle de la cavalerie légère. Il s’engoua de mon esprit. Il m’invita souvent à venir travailler la cabale dans son logis. Je lui rendis quelques services de secrétaire ; en retour il gagea qu’il m’unirait à une fille belle et bien dotée. Je ne sais au juste de quelle sorte il besogna ; mais une demoiselle créole qu’il avait guérie des fièvres, alors que tous les autres docteurs renonçaient à la soulager, me fit, par un billet, savoir ceci : pendant ses heures de délires, la sainte Vierge lui était apparue et lui avait promis la santé si elle consentait à nos accordailles. Il en fut ainsi : car sa mère, veuve et dévote, accepta qu’elle accomplît son vœu. J’étais, d’ailleurs, un fier capitaine et de bonne réputation. Dix ans, je vécus dans l’aisance et la félicité, sur notre domaine dotal, dans la douce Provence. Nous eûmes un fils, il est devenu général : c’est ton grand-père. J’étudiai beaucoup dans le repos du sage, au sein de la nature. Nous nous aimions. Elle mourut à trente ans d’un abcès au foie. Pour distraire mon chagrin, je voyageai. Le duc de Chartres fut reconnu grand maître de l’Ordre par les loges écossaises, en 1771 ; il me désigna comme l’un