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rien : « La nature détruit tout ce qui annonce l’inégalité ! » et il rentrait chez lui moins disposé à subir les violences des veneurs traquant le renard jusque dans son potager…

« Chose étrange : on peut dire que c’est la chasse qui perdit l’ancien despotisme. En Allemagne, ainsi qu’en France, cette manie était frénétique. Votre carrosse ne courait pas vingt tours de roue sans atteindre ou croiser une sorte de rustaud juché sur une bique grise, crotté jusqu’en haut des chausses et sifflant une demi-douzaine de roquets bâtards. Les nobles, ruinés par les parades à la cour, à la guerre, avaient aliéné leurs biens, vendu leurs fermes et mangeaient, comme le paysan, dans des bicoques délabrées. En ai-je vu de ces hobereaux plus mal vêtus qu’un laboureur, et qui ne gardaient de leur prestige que ce droit de chasse ! Ils passaient le temps à la poursuite acharnée des chevreuils et des lièvres. La venaison formait le principal de leurs repas. Jaloux du dernier privilège laissé par le prince à leur orgueil héréditaire, ils l’exerçaient avec fureur, crevant les haies, traversant les moissons, pendant braconniers et massacreurs de bêtes nuisibles, réduisant à rien les bénéfices de la récolte qu’ils foulaient en tous sens. Point de cesse ! À peine si le laboureur tirait du champ sa pitance. Augmenter son domaine ne lui servait de rien. La chasse passait, et elle anéantissait l’espoir de la moisson. S’il s’indignait, on lui coupait la figure à coups de cravache. Car le hobereau, irrité de sa misère, ne laissait pas d’être cruel. Le négoce des villes, jadis prospère grâce aux emplettes du campagnard, diminua. Les petites gens du commerce et les artisans se recrutaient entre eux, pour venir à la loge, pester contre le noble. En ce temps, personne ne le pouvait faire, pour eux, dans une gazette.

« Bientôt, les adeptes convinrent de s’acheter réciproquement leurs denrées, à l’exclusion des autres mar-