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d’images, et parader en cette salle d’auberge, à l’ébahissement du vieux gentilhomme, de sa fille qui levait doucement le verre dans sa main d’opale, du prêtre qui mangeait, rouge d’indignation, du gros monsieur approuvant avec la tête toujours couverte, de la vieille dame au chapelet et aux yeux de poisson malheureux.

À mesure qu’Omer parlait, qu’il buvait, une foi précise succédait à ses croyances jusqu’alors égales en valeur et contradictoires. Une seconde intelligence se révélait, mystérieuse et laborieuse, qui avait, dans les arcanes du cerveau, couvé les leçons des maîtres, celles du bisaïeul aussi, comme les démences du capitaine. Pendant que le disciple recevait l’enseignement d’une oreille distraite, cette intelligence avait recueilli toutes les paroles, assemblé, confronté, déduit et résolu. Soudain, elle prêchait des choses fortes qui résonnaient jusqu’aux solives mal blanchies du plafond.

Les morceaux restaient sur l’assiette du causeur sans qu’il prît garde de les couper. On lui enleva les portions presque intactes ; on leur en substitua d’autres. Il l’intéressait peu d’assouvir sa faim, extrême pourtant, l’heure précédente. L’important était de tenir en éveil l’indignation du prêtre, la peur de la dévote, la vénération devenue toute humble des commis qui se regardaient et hochaient la tête en signes approbatifs, et la mine d’indulgence narquoise que parait le sourire de la jeune fille adossée paisiblement sur la chaise. Omer se souvint du jour où couché dans les avoines, il écoutait retentir encore la voix de la Révolution par la bouche du chevalier de Vimy et de Publius-Scipion Deconink, où il se connut un homme apte à l’effort ; et voici qu’un an plus tard, l’effort s’accomplissait dans cette salle d’auberge, toute sonore de sa foi neuve.

Les histoires des peuples chantaient par sa voix, qui les dit toutes, depuis les dures initiations de Memphis,