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sincèrement, et je compris qu’une séparation tuerait, sinon le corps, au moins l’âme de cette femme sensible. Tant que la mission de notre bande se bornait à fournir secrètement de la poudre et des fusils aux carbonari du Piémont, aux hétéries grecques de Janina, qui proclamaient alors leur indépendance contre le sultan, l’amour ne pâtit pas. Mais, dès que le congrès de Laybach eut lâché cinquante mille Autrichiens sur nous pour rétablir le despotisme dans les Deux-Siciles, il parut évident à nos compagnons que la Lombardie, vidée de troupes par ce mouvement, ne pourrait, avec ses seules garnisons, réprimer la révolte toute prête à éclater dans le Piémont. Il importa de gagner Gênes et d’y donner le signal de l’insurrection. Je tâchai de m’enfuir sans que Graziella le sût. À dix lieues de Naples, sa chaise de poste me rattrapa. Elle immolait sa fortune, son honneur, son rang et son avenir à notre passion.

« Que dirai-je en outre ? Pour l’amour de moi, ce fut elle qui arbora le drapeau constitutionnel à Gênes, le 10 mars, pendant que, juché sur une borne, je haranguais la foule en fort mauvais patois piémontais. Elle sortit à cheval, sur la place de Turin, la bannière tricolore dans la main, le soir où le vieux Victor-Emmanuel abdiqua en faveur de Savoie-Carignan, et aussi le 22, après que ce pleutre, emmenant presque toute notre cavalerie et nombre de nos canons, eut passé ignoblement à l’ennemi. L’audace de ma maîtresse releva les courages. Je la verrai toujours criant des mots italiens du haut de son cheval blanc à la multitude stupéfaite. Les cheveux épars sous un bonnet rouge de pêcheur napolitain, elle caracolait à l’extérieur des arcades roses qui soutiennent l’amphithéâtre des petites maisons, devant le lit pierreux du Pô. Toutes les jalousies étaient baissées par peur des espions et des dénonciateurs qui livrent maintenant, hélas !