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linden. Mais le duc d’Enghien, qui conservait le texte du pacte pour le publier à l’heure voulue, fut enlevé sur le territoire de Bade, dépouillé de son portefeuille, conduit à Vincennes et fusillé. Pichegru fut étranglé par les mameluks dans sa prison. Des juges que terrorisaient, au tribunal même, les gendarmes de Savary, condamnèrent à mort Cadoudal, et à la réclusion le général Moreau. L’armée du Rhin fut aussitôt déportée dans les Antilles, où l’anéantirent les fièvres tropicales et une guerre soigneusement ignorée par une presse esclave. En droit, Buonaparte n’était donc qu’un lieutenant déloyal et rebelle, un usurpateur qui avait trahi les Jacobins en acceptant l’aide des Bourbons, puis les Bourbons en gardant le pouvoir indu au moyen d’assassinats. Telle apparaissait la valeur morale de Napoléon, de qui tant de rhéteurs exaltaient la grande âme.

Écarlate entre ses boucles blondes, le Père Anselme tapait du poing la tablette de sa chaire poudreuse : et il dévisagea sévèrement Omer, comme si le discours véhément s’adressait au neveu du capitaine Lyrisse. L’enfant détourna les yeux, tandis que la bande obséquieuse des petits rustres ricanait, approuvait au long des pupitres, trépignait sous les bancs de bois cru, et regardait sournoisement le fils du colonel Héricourt. Il se souvenait. Maintes fois on avait, devant lui, cité l’admiration qui liait son père à Moreau. Le chef des philadelphes avait marié son ami à Mlle Virginie Lyrisse, puis l’avait entraîné dans sa chute. Rayé des cadres, l’officier avait seulement été réinscrit au camp de Boulogne, parmi ceux rappelés en foule avant la campagne d’Austerlitz. La vie du héros prouvait donc l’assertion du jésuite : Napoléon n’était rien qu’un aventurier de génie, un coquin miraculeux. En celui-ci l’imagination publique incarnait à tort la gloire du peuple jacobin qui vainquit les monarques au nom de la liberté. Les