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ments des mouches et des guêpes agacées de ne pas découvrir les issues de la pièce.

Confusément, le collégien soupçonnait l’existence réelle, à Paris, d’un bazar qu’administraient deux colonels en demi-solde, employant pour commis d’anciens soldats bonapartistes ou jacobins. De plus, il reconnut le nom d’un vieux sous-officier de son père, Pied-de-Jacinthe. Possédant, rue Cadet, une boutique d’imprimeur, celui-ci fabriquait les prospectus, les affiches du bazar, et des brochures. Elles étaient colportées en Picardie et en Flandre par le lieutenant Boredain ; il les plaçait entre les pièces de drap, dans le tapecu à bidet blanc, les distribuait secrètement aux chasseurs à cheval d’Amiens, aux fantassins de Cambrai, prêts à soutenir une insurrection, en faveur du drapeau tricolore, comme étaient prêts les vétérans de Vitry, les troupes de Belfort, Grenoble, Lyon, Nantes, l’artillerie de Rennes, trois légions de Paris, des étudiants armés, les gardes nationaux et le bataillon de la garde royale caserné au fort de Vincennes, où s’installerait le gouvernement de M. de Lafayette.

D’abord ces espoirs semblèrent chimériques à l’enfant. On les développait avec chaleur devant les verres remplis et les bouteilles vides. Puis les contradictions se croisaient ; les voix luttaient pour vaincre le brouhaha, les questions n’attendaient pas les réponses. M. Publius-Scipion Deconinck déclamait entre ses oreilles de chien envolées par-dessus le haut collet de son habit, et il brandissait son chapeau à la Robinson ; l’adjudant Lepault crachait sous sa moustache en brosse, en démenant ses os dans la polonaise à brandebourgs ; il exigeait : « Des états de situation ! Des chiffres !… Un peu d’ordre, s’il vous plaît ! » Tandis que, sans lâcher son verre de rogomme, le grenadier-brasseur Saturnin souhaitait : « Des hommes ? Avez-vous des hommes ? Trouvez-moi des hommes ! » et mar-