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du cuirassier-charretier Théodore, géant gouailleur à tête de bouc, du canonnier-serrurier Delorme, boiteux depuis Ligny, du sapeur-épicier Bodinot, qui avait perdu deux doigts sous Dantzig, du carabinier-aubergiste Caldeneuf, obèse et poussif.

Ces mêmes personnages marquaient une affectueuse reconnaissance envers M. Corbehem, dont l’estomac semblait plein de toute la bière que fabriquaient ses cinq brasseries, et envers M. Mercœur, ancien capitaine de dragons qui, par des butins habilement choisis et de nombreuses parts de prise, avait obtenu quelque richesse maintenant visible dans le lustre de ses bottes à glands, de son habit de cheval à boutonnières nombreuses, de son col en satin, et de ses moustaches lissées à la pommade hongroise.

Donc ces messieurs fréquentaient, tous les lundis, le long mais étroit jardin de Corinne. Ils s’installaient sous les tonnelles, par groupes de sympathies. La jeune Herminie préparait et versait les breuvages.

Le major Saturnin, l’adjudant Lepault et le carabinier Caldeneuf excellaient à dire les chansons. Puis le capitaine Lyrisse assemblait devers lui les buveurs et lisait tout haut les messages écrits de la main du bisaïeul, au château de Lorraine. Le lieutenant Boredain parlait ensuite. Clignant de l’œil, il commençait d’habitude son rapport par ces mots :

― Je voyage depuis cinq jours, messieurs, pour le compte du Bazar Français. Il y a du bon (Fredonnant.) la pratique mord… au drapeau tricolore.

Relégué avec Corinne dans une chambre basse, Omer entendait mal. L’amie occupait trop copieusement les jeunes démences de ses instincts qui se faisaient, à ces heures-là, plus raffinées par l’obligation du silence, sous le mystère des stores et des jalousies closes. Aux haltes de l’amour, le bruit des voix, cependant assourdies à dessein, arrivait par bribes entre les bourdonne-