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en sa niche bleue. Dans l’échoppe voisine, le savetier chanta : te souviens-tu, disait un capitaine au vétéran qui mendiait son pain, te souviens-tu qu’autrefois dans la plaine tu détournas un sabre de mon sein ? sous les drapeaux d’une mère chérie, tous deux jadis nous avons combattu ; je m’en souviens, car je te dois la vie ; mais toi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ? ― bonjour, Jérôme, vieux voltigeur ! ― salua l’oncle. Une trogne bleuie se releva de dessus le cuir, le fil cessa de se nouer au bord de la semelle. Timide et trapu, l’artisan répondit joyeusement aux paroles du cavalier. Et l’oncle aussi fredonna : te souviens-tu que les preux d’Italie ont vainement combattu contre nous ? te souviens-tu que les preux d’Ibérie devant nos chefs ont plié les genoux ? te souviens-tu qu’aux champs de l’Allemagne, nos bataillons, arrivant impromptu, en quatre jours ont fait une campagne ? dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ? ils rirent ensemble. On fut boire au cabaret quelques chopes de bière mousseuse. Une pie familière sautillait sous les tables, secouait des lambeaux d’ailes… les bras du savetier sentaient le cuir et la poix, quand il serra fortement les mains du " fils Héricourt " ! à Boiry, le pigeonnier du moulin pointe plus haut que le coq de l’église. Les essors des colombes bruissaient autour. On alla présenter des hommages à M. Publius-Scipion Deconinck. Le vieillard ferma le tome de Voltaire qu’il lisait derrière les capucines de sa fenêtre. Par manière de protestation jacobine, il portait encore