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suite. Il vit la bête de chasse courir à l’immobilité du capitaine épaulant le fusil, du haut de son alezan. Il vit le haut chapeau roux incliné contre la crosse, les manchettes pendantes, la stature en culotte de daim bottée. Le cheval penchait la crinière, les rênes lâches. Obliquement deux jets de feu se succédèrent. Le lièvre tressauta, tournoya, finit par retomber, s’étirer, le ventre blanc à la lumière. Alors les levriers bondirent vers le poing du major qui levait la proie prestement cueillie dans l’herbe.

― Encore un qui n’est pas pour les Bourbons !

Il complimenta son neveu de s’être mieux tenu en selle, grâce à l’obéissance envers les préceptes. Omer tut la ruse des deux doigts à l’arçon.

Or cette petite expérience lui changea l’âme. Il se persuada mieux encore que la feinte a son prix et qu’elle aide à réussir.


À parcourir avec le capitaine les champs et les routes de l’Artois, Omer Héricourt découvrait le génie de la tante Caroline. Quelle sagesse habitait donc la tête calculatrice de la quadragénaire, encadrée maintenant par des bonnets de soie noire à ruches ? Elle présidait aux travaux de huit forges, de quatorze moulins. Tout ruisseau était devenu lac, grâce à la résistance d’ingénieux barrages. La chute de l’eau mettait en mouvement les godets des hautes roues en bois qui donnent la force aux machines ronflant dans l’intérieur des bâtisses, aux meules de grès bleuâtre, dressées par couples, depuis le plafond jusqu’à l’aire pleine de froment ou d’œillettes. Le capitaine instruisait son disciple. Autour des moulins, les tâcherons avaient construit leurs petites demeures blanches, et semé de laitues l’arpent clos de perches à houblon ; le cabaretier avait établi son comptoir, l’épicier garni son étalage,