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— C’est un sauvage ! ― répondit une vieille qui fourra ses mains dans les manches du caraco. ― Il veut se mêler de la confession de s’ nièce et y dit des menteries de païen à faire pleurer la sainte Vierge, quoi !… Si on peut prétendre !… Un prêtre de Jésus !

― Allez, monsieur, ayez pas peur, on fera respecter le sacrement. On n’est pas des Hurons, par ici !

― Eh bien, mes cocos, si ça vous amuse de laisser vos filles enfermées avec un tondu… Quant à moi !…

Et le roulier, le fouet en l’air, regagna sa porte.

― D’abord, glapit la vieille, un prêtre n’est pas un homme, c’est l’image de not’Seigneur ! ― Et faites un mollet attention de ne pas y dire des blasphèmes, brigand de Napoléon, hein ? ― Brigand de Napoléon ! ― Va-t’en retrouver le mangeur d’hommes, pillard d’églises ! ― Régicide ! ― Aide-moi, Jean, on va le mener chez M. Le maire.

― Viens-y donc ! Arrive me toucher, si tu peux, cagot !

Le roulier se planta devant sa maison, la menace au bout du poing tendu. Les deux cavaliers virent mieux sa figure et ses favoris gris en forme de crosses de pistolets, sa moustache rasée autour de la lèvre sèche. Il gesticulait avec deux mains striées de cicatrices. Un vieux manteau de cavalerie, rapiécé, augmenté d’une fourrure rousse, enveloppait sa haute stature, jusqu’aux oreilles couvertes d’un chapeau de cuir et ornées d’anneaux.

Dans la porte soudain ouverte, parut le prêtre averti par le tumulte :

― Donne mes souliers, Grégoire ! ― ordonna-t-il au roulier, qui le toisa.

À genoux déjà, une dévote chaussait le vicaire, fébrilement. Il la bénissait.

― Mes amis, ― ajouta-t-il, ― allons prier pour les malheureux dont Jésus a dit : « Ils ne savent pas ce qu’ils font !… »