Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieudonné Cavrois insultait paisiblement les censeurs, les invitait, pendant les vacances, à sortir des Moulins Héricourt, puisqu’il était chez lui, et, au collège, du réfectoire, puisque sa mère payait, aussi bien que les Lyrisse ou les Praxi-Blassans, les quartiers de la pension. Puis il entonnait une des mille chansons à boire dont il possédait plusieurs recueils.

Caroline, d’ailleurs, se livrait elle-même, impudemment, aux plaisirs des gastronomes. Chaque fois qu’on servait une volaille, elle accaparait la carcasse. Après quelques essais d’en avoir la chair au moyen de la fourchette et du couteau, elle y renonçait pour saisir de ses doigts le bréchet encore juteux, le ronger. Ensuite elle fourrait son nez au centre du débris, arrachait, avec le pouce et l’index, des bribes qu’elle mâchait. Insoucieuse de la sauce qui coulait au long de ses doigts et barbouillait son large visage de chatte, elle s’acharnait à rompre les os entre ses mâchoires. Son ongle grattait la surface ; ses dents tiraient les bouts de chair.

Les cousins Praxi-Blassans souriaient de cette goinfrerie flamande qui absorbait l’attention de la mère et du fils, qui paraissait l’essentiel de leur vie. À deux, ils composaient un menu, des heures. Ils étudiaient les recettes des livres culinaires. Ils demeuraient à la cuisine goûtant les coulis dans la cuiller à pot. Ils s’embrassaient à pleine bouche, si la servante n’avait rien gâté, pour se remercier affectueusement d’un tel bonheur. C’était la raison la plus claire de leur entente, de leurs sympathies réciproques. Telle crème exquise, savourée de compagnie, les raccommodait aussitôt, après les brouilles.

Dieudonné Cavrois, comme il atteignait l’adolescence, raffina davantage leurs appétits. En somme garçon jovial, épais, rieur, il entrait presque toujours dans la salle basse, une bouteille poudreuse