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qui répétait, au bout de toutes les discussions :

― Ce sera toi l’évêque ; toi, le pape !… alors ?… Et moi ? Moi, je ferai le ventru, dans un consulat de Syrie…, puisque mon père ne veut plus deux officiers dans la famille… puisqu’il entend que nous soyons ses délégués dans les différents corps de l’état… Je ne connaîtrai donc ni la gloire des armes, ni le pouvoir sacré du prêtre… C’est injuste. Es-tu plus digne que moi de coiffer la tiare ?… Tu n’en es pas digne. Le Père Anselme l’a dit… Tous les évêques doivent être dignes de coiffer la tiare, d’abord !

À mesure que leurs âges approchaient de l’époque virile, les ambitions travaillaient chacun et devenaient les motifs des propos. Seul, Dieudonné Cavrois ne formait pas de projets magnifiques. Il étudiait souvent la marche des pucerons sur les feuilles, mais parlait davantage de ripailles et de vins. Un gros menton lui poussait, allongeant sa large figure. Dès que l’on se moquait de sa graisse ou de sa gourmandise, il avait la riposte blessante. Rien ne l’empêchait alors de se souvenir à haute voix que, sans la fortune de la tante Aurélie, le comte de Praxi-Blassans ferait encore le mouchard, sous prétexte de diplomatie, en parcourant les maisons de poste.

Néanmoins, les fils du comte blâmaient la manie qu’avait le géomètre de puiser à la cuiller, dans l’assiette des voisins, la soupe ou le jus abondants, de mettre la main au compotier du dessert ornemental, avant le dernier service, ou de choisir, sans vergogne, le meilleur morceau en repoussant au fond du plat les parts moins belles, celles des autres. Aucune critique ne décourageait du reste ces entreprises. Il écrasait des fruits divers dans le vin ou le laitage de sa timbale : cela devenait alors semblable à un « vomissement d’ivrogne », disait Édouard. Avalant la mixture dont un peu coulait sur son vaste menton et tachait de violâtre la serviette,