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dans les chariots de son vainqueur Mummius, elle transmet à Rome son legs de philosophie, d’art et d’amour, ce pour quoi Épaminondas avait vaincu les brutes de Sparte. Le combat est long : le vautour qui ronge tous les Titans dévore toujours le crucifié du Caucase. Mais, imbus de l’esprit hellénique, récemment conquis, les capitaines de Marius et de Sylla terrassent les Africains de Jugurtha et les Teutons, les Cimbres. Cependant la Providence réunit sous la main de César le monde occidental.

Dans une leçon riche en merveilles d’éloquence, d’érudition, le père Anselme dépeignait l’énergie civilisatrice de César, et la puissance politique d’Auguste. Il décrivait la Voie Sacrée, sa bordure de tombeaux illustres, les matrones en litières d’ivoire à grands pans de pourpre, que portaient douze esclaves pris dans les douze races humaines, la vigueur d’une légion en marche vers Rome, brunie aux figures par le soleil éthiopien, tandis que les courroies des chaussures restaient rougies par les neiges du septentrion. Il évoquait la majestueuse intelligence du sénat et des stoïques, la culture des philosophes, le génie des architectes, l’universalité des dogmes signifiés par les symboles des temples innombrables, tous élevés sur des colonnes qui rappelaient les arbres de la forêt préhistorique : or, dans un coin de l’ergastule, le chrétien rongé de vermine tournait à vide la roue de bois. Ceci, par la force obscure de la pitié et de l’amour, allait en deux siècles conquérir cela ; sans prestige, par l’idée seule du pardon et de la fraternité. Un ange invisible et robuste tournait avec le patient cette roue de bois brut. Mais si vain que parût ce travail aux licteurs venant chercher la proie du cirque, l’archange et le martyr moulaient le grain spirituel du monde ; ils le réduisaient en la bonne farine du pain nouveau, le pain de vie que les moines partageront entre les pauvres, dix-huit siècles, au seuil