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jaune empoignait un sabre. À ses pieds, une grenade fumait. Les cheveux se plaquaient à son grand front. Plus loin, dans le tableau c’était la neige, des lignes d’infanterie sombre, et les feux dardés des canons.

― Voilà votre père, petits.

Attirant Denise et Omer devant ses genoux, Maman Virginie les questionnait sur leurs souvenirs du colonel, et ils tâchaient de répondre. Le fils se rappelait ceci.

Un soir d’autrefois, le père traversait la lueur ronde du quinquet éclairant le billard de la chaussée d’Antin. Malgré le tumulte de Paris assaillant les fenêtres, il cria sa colère. L’empereur lui refusait le titre de général cette fois encore. La main du colonel contenait les palpitations du cœur à travers la ruche du jabot, le pouce s’enfonçait dans l’entournure du gilet gris. Toute sa haute personne soufflait. Il jeta son chapeau. Sourcils froncés, il apparut un peu chauve au-dessus du front tout blanc, protégé seul par la visière du casque contre l’air qui avait bruni la figure entre les deux touffes de cheveux, aux tempes. Son poing tapa la console. Deux plis de peau tirèrent sa face depuis les narines jusqu’à la bouche écumante. Tante Aurélie fit alors sortir les enfants. Denise toute rouge, s’étranglait pour l’effroi de la nourrice.

Omer se représentait ces choses ; mais il ignorait les mots qui décrivent. La mère se désolait parce qu’il ne pouvait pas. Comment savoir les sons ? Et c’était un dur travail de la jeune intelligence pour traduire l’image mémorable, entière et vivante, qui devenait de piteux lambeaux épars dans son bégaiement. Virginie le pressait de questions anxieuses. Fouillé par les yeux cruellement clairs, l’enfant cachait dans la grosse poitrine chaude, sa honte d’impuissance. La veuve le redressait brusquement. Si, las de l’effort mental, il s’intéressait au moucheron en valse dans le rai de soleil, elle l’empoignait aux épaules, elle ramenait le visage dis-