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la tante frissonnait par moments, et puis elle riait de coin, d’une manière stridente, comme le diable doit rire. Qu’elle ne quittât point cette attitude sévère pour l’embrasser, cela lui fit une peine. Sa mère ne cessait pas non plus de tressaillir le long de lui. Il pensa qu’elles le jugeaient trop méchant, et que ne plus voir son père, serait la punition. Alors il étouffa. Quel irréparable avait-il commis ?

― Maman ! Maman ! S’écria-t-il ne pleure plus. Je n’irai plus au bassin des canards. Maman !

Mais elle secoua la tête et le mit à terre pour être emmené par la bonne qui ordonna le silence, dans la cuisine même.

Denise, la grande sœur, soufflait sur une cuiller pleine de panade qu’on lui tendait. « tu sais, papa est au ciel ! » annonça-t-elle, fière de savoir. Omer admit ce fait sans autre inquiétude, car il désirait le goût de beurre sur la tartine. En mangeant, il songeait que son père pouvait bien connaître, au ciel, les personnages d’importance que sont les anges et les saints. Ne voyageait-il pas avec l’empereur déjà ? Quand furent avalées la tartine et la panade, la nourrice fit répéter la prière au Petit Jésus, bien que ce ne fut pas l’heure. Dociles, tous deux, articulaient convenablement les syllabes. Omer se trompa parce qu’il écoutait l’oncle Cavrois dire dans l’antichambre à des visiteurs :

― Veuillez excuser ma belle-sœur de ne pas vous recevoir. Un grand malheur nous accable. Le colonel Héricourt a été tué en poursuivant l’ennemi, devant Presbourg…

Depuis le jour néfaste du canard, Maman Virginie cacha ses cheveux sous une coiffe de veuve, et chacun s’habilla de noir. Des ouvriers accrochèrent, au salon, le portrait d’un soldat en culottes blanches, en bottes géantes, et le torse drapé dans un manteau vert. Il en sortait une main formidable dont le gantelet de cuir