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de la nourriture : la quantité seule plaisait à ce dîneur étrange. Caroline adressait-elle au professeur de ses neveux, de son fils, une corbeille de victuailles, dindes miraculeusement truffées et rôties, poissons rares, vins de choix, primeurs ; c’était leur abondance qui délectait le Père Corbinon :

― Remercions la fécondité de la Divine Providence. Il faut se réjouir avec les fruits de la terre que Dieu créa pour donner aux hommes la communion perpétuelle de son corps et de son sang qui sont l’univers lui-même. Ce que nous prêtons de qualités aux mets vient de nous, de notre nature misérable et pécheresse ; les raffinements sont inspirés par le Diable qui nous induit en faute, qui nous amollit le cœur en y insinuant non pas le mal seul, mais encore la science du mal…

Et il intimait rudement l’ordre de se taire à Dieudonné Cavrois désireux de vanter la succulence d’une meringue.

Au bout des cours, il y avait un parc. Des pelouses larges s’étalaient entre des charmilles ; des quinconces bornaient leurs angles. Là bondissaient les sphères des ballons que les pères expédiaient au ciel par de vigoureux coups de pieds. Leurs manches retroussées laissaient voir les bras velus gonflés de veines. Ils tapaient aussi dur que les collégiens. Leurs éclats de voix n’étaient pas moins francs, si le maladroit culbutait, s’il recevait en plein visage le ballon. Omer étant tombé certain jour, étourdi jusqu’à ne plus rien percevoir que la vibration de ses os pendant une bonne minute, se retrouva dans une ronde formée par le Père Corbinon, de qui les gambades en bas reprisés soulevaient la soutane verdie, par le Père Anselme, de qui voltigeaient les boucles angéliques sur un col gras, par le Père Vadenat, secouant sa bedaine au rythme des sauts, par le Père Gladis, petit comme un gnome des légendes et qui chantait alors de tout cœur : « Vive Henri IV !… »