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coupées, toutes saignantes, des assassins mordant leurs victimes et leur trouant le cœur. Quelles cruautés le pourraient atteindre, lui qui s’avouait chétif et tremblant, à califourchon sur l’âne ! Sa gorge se rétrécit ; ses entrailles grognèrent. Céline, muette, courait en soufflant à côté de la bête. Quand ils revirent le château, ils écoutèrent un paysan avertir des femmes entassées dans une charrette :

― V’là les Cosaques !…

La voiture cessa de rouler derrière le bidet blanc. Une vieille se leva de la banquette et dit :

― Alors, les valets des tyrans rentrent en France comme du temps de la République ? C’est donc vrai, seigneur !

Mais le paysan galopa par les labours, les coudes au corps, droit au village…

― Les avez-vous vus ? ― demanda la vieille à Céline.

― Ah ! Oui, je les ai vus !… ils sont au sentier de la briqueterie… Et quels brigands ! Ils font peur !

La charrette tourna pour rebrousser chemin. De son parapluie, la vieille frappa l’échine du bidet, et les autres femmes de la voiture se disputèrent. Omer avisa le fourrier du général Lyrisse, qui se précipitait au-devant d’eux. Il avait revêtu une limousine de charretier par-dessus l’uniforme, et remplacé par une toque de fourrure son bonnet de police.

― Vite, vite !… Mme Héricourt craint que vous ne rencontriez cette vermine… Je suis déguisé, hein ? Je n’ai pas envie de pourrir dans leurs forteresses !… Le général va partir pour Châlons sur l’heure !

Il entraînait l’âne par la bride vers les sombres sapins du parc, le fossé du saut-de-loup, son parapet de pierre et la haute grille blanche. Omer réussit à ne pas pleurer ; il exigea de soi que le fils du colonel Héricourt fût digne devant l’ennemi. En son cœur étreint par l’effroi, l’hé-