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rendre mes chevaux, qu’un courrier de l’empereur venait de choisir pour sa voiture et son sac de dépêches. Ce M. De Sonis était par bonheur un galant homme, qui nous proposa de faire route avec lui ; mon mari crut pouvoir me confier à son honneur. Nous n’avions pas le temps de respecter beaucoup les convenances. On avait vu les cosaques rôder déjà sur la route de Krasnoë. Je me jetai dans les bras d’Augustin. Il me porta jusqu’au traîneau, tout éperdue. Et l’attelage partit au galop dans la plaine de neige. Huit jours nous avons couru, nous arrêtant juste pour manger ou pour nous réchauffer en buvant le thé du samovar commun, dans les maisons de poste. Quelle affreuse odyssée, ma bonne !… rien qu’un pays de neige… de temps en temps, les maisons de bois d’un village et son église, dont le clocher a toujours la forme d’un gros oignon, la tige en l’air… nous filions très vite, parce que les rustres déguisés en cosaques, armés de piques et montés sur leurs bidets de carrioles, sortaient des fermes pour nous donner la chasse… quelles transes ! Il n’y avait de consolant que l’éclat incomparable des nuits étoilées et de la lune éclairant la neige des paysages… " M. De Sonis est un gentilhomme de grand cœur et de manières parfaites. Son âme poétique sut parler à la mienne de ces spectacles sublimes… en quelque sorte, il me consola de mes malheurs… il prit congé vers Koenigsberg, pour achever la route à cheval. Moi, j’avais hâte de vous revoir, d’apprendre des nouvelles. J’accourus de poste en poste… j’ai traversé beaucoup de villes sans retenir leurs noms même… " à l’écouter, dans sa mémoire, Omer eut froid à l’âme et au corps. Comment parlait-elle là, celle qui avait connu tant d’épouvante ! Il craignit que le fléau ne vînt jusqu’à lui. Déjà, comme un avant-coureur, le froid posait aux vitres son masque de givre. On se rapprochait des arbres incendiés dans l’âtre. Le bisaïeul décla-