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I. 32 PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE ET EMPIRISME LOGIQUE

jours, par Einstein, qui a montré une généralisation analogue pour le concept du temps, et qui a donné, de plus, une application de la géométrie non-euclidienne à la physique. Le concept de substance, a priori, lui aussi, chez Kant, a été lié à cet ébranlement et s’est changé en concept de champ qui manque, avant tout, de la qualité d’individualisation, si nécessaire pour l’ancien concept de substance. Le concept de causalité, le support favorisé de chaque apriorisme, a été remplacé par le concept de probabilité, et les lois de la nature, prises jusque-ici pour des modèles d’exactitude, se dévoilent pour nous comme des lois statistiques qui, selon la mécanique des quanta, ne se rangeront jamais, pour des raisons de principe, aux exigences d’une causalité exacte. L’arithmétique, que Kant considère comme une science synthétique et a priori à la fois se révèle dans les travaux de Russell et d’autres, comme purement analytique ; et avec cela disparaît un autre refuge de l’a priori synthétique, qui, à cause de l’application étendue de la mathématique, marquait une position très forte de l’apriorisme. La désagrégation de l’apriori n’est plus à arrêter.

Permettez-moi d’interrompre ici pour un moment mon récit historique, pour vous décrire la position acquise. Le conflit entre l’empirisme et le rationalisme, issu de la création de la science dans les temps modernes, n’a pas pu être résolu au temps de sa plus grande acuité ; la défense de l’empirisme par Locke et Hume a été balancée par la fortification du rationalisme entre les mains de Leibniz et de Kant, en faisant usage du concept de l’a priori synthétique. Mais le système de Kant ne se montre pas apte à résister au développement ultérieur ; ce système ne marque pas, comme le croient ses adhérents actuels, le commencement d’une ère nouvelle, mais seulement la dernière grande position d’un temps passé. Kant donne au rationalisme sa forme la plus achevée ; mais depuis son époque, le courant de la philosophie trouve un lit nouveau dans le développement de la science qui aboutit à la désagrégation de l’a priori synthétique. C’est cette position nouvelle qu’il nous faut voir, si nous voulons comprendre la situation des problèmes de nos jours.

La science de nos jours ne croit plus aux capacités législatives d’une raison pure. Tout ce que nous savons du monde est tiré de l’expérience, et les transformations des données empiriques sont purement tautologiques, analytiques. Ce qu’on avait pris pour des lois a priori synthétiques ne sont que des lois empiriques très générales : les lois de l’espace et du temps, la loi de la causalité, la loi de la conservation de la substance, et toutes les autres. Et les transformations mathématiques qu’on avait cru a priori synthétiques ne sont qu’analytiques ;