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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

De temps à autre, l’une d’elles monte prendre des nouvelles de Telcide !

— Comment va-t-elle ? demande-t-on à Jeanne, qui précisément descend de sa chambre.

— Elle se plaint.

— Ah ! elle souffre ?

— Non. Elle se plaint de nos prévenances. Il parait que, chaque fois qu’elle commence à dormir, l’une de nous entre pour lui demander si elle a besoin de quelque chose…

— Comme le docteur tarde !

— Tenez, le voilà !

Par un léger coup de marteau, le docteur Crépinois s’est annoncé. Il entre à pas glissants. C’est un vieillard de quatre-vingt-quatre ans, qui a des binocles d’or, des cheveux blancs et le dos voûté, de sorte qu’il semble ausculter perpétuellement quelqu’un. Depuis longtemps, il ne professe plus régulièrement. Mais il a gardé quelques fidèles, qui sont plus ses amis que ses clients. Les demoiselles Davernis ont été mises au monde par ses soins :

— Je n’oublierai jamais, aime-t-il leur répéter, que j’ai aidé à mourir votre sainte mère…

Il porte la redingote, la cravate blanche, un faux col largement échancré. Jamais il n’a eu une autre coiffure que ce chapeau de forme archaïque.

En gravissant l’escalier, il s’arrête deux ou trois fois pour respirer. Rosalie est la seule qui l’accompagne. Jeanne et Marie continuent leur nettoyage :

— Je suis contente, dit Marie, que le docteur ne m’ait pas vue. Je suis tout « ébouriffée ».

Pauvre chérie ! dont les cheveux alourdis par l’eau et le cosmétique sont si plats !

— Ernestine, passez-moi le moulin à café, ordonne Jeanne. Il est sur la pierre à évier…

Arlette, qui assiste à ce spectacle, estime le moment propice pour essayer de gagner à sa cause ses deux cousines :

— Savez-vous à quoi je pense ? leur demande-t-elle.

— Non.

— Je pense qu’il y a beaucoup de misères à soulager.