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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

Arlette a tout le loisir de les observer pour déchiffrer l’énigme qui l’intéresse.

Telcide a des gestes saccadés. Elle est cassante, autoritaire. Son visage est sec. Très austère pour elle-même, elle l’est pour les autres. Elle n’a aucune sensibilité. Mais, se demande Arlette, est-ce que son masque n’aurait pas durci sous l’empreinte de la douleur ? La souffrance a des effets différents selon les êtres. Il en est qu’elle rend meilleurs en aiguisant leur pitié. Il en est d’autres qu’elle aigrit en exacerbant leur dépit. Est-ce que Telcide ne pleurerait plus que parce qu’elle aurait trop pleuré ? Si elle n’a plus d’illusions, n’est-ce pas parce qu’elle les a toutes effeuillées sur la tombe d’un amour ? Il est très possible qu’elle ait été jadis rêveuse, sensible et romanesque…

— Ma sœur Rosalie, c’est à vous de couper…

— De la main gauche !… Je coupe toujours de la main gauche.

— Est-ce que vous seriez superstitieuse ?

— Non… mais c’est une idée que j’ai comme ça !…

Pauvre Rosalie ! sa voix n’est qu’un souffle, ses traits sont flous, sa poignée de main est inconsistante. Jamais elle ne formule une critique. Elle est toujours de l’avis de son interlocuteur, car, en fait d’opinions, elle estime que la meilleure, c’est de ne pas en avoir. En tout cas c’est la moins fatigante ! Elle n’a aucune disposition particulière. Elle s’intéresse à tout également, c’est-à-dire qu’elle ne s’intéresse à rien. On pourrait assez exactement la comparer à une bouée, qui flotte sur la mer et que les vagues font danser. Arlette se demande si pour être ainsi éteinte, il ne faut pas qu’à une certaine période de sa vie, Rosalie ait brûlé d’une flamme trop ardente. N’est-ce pas seulement lorsqu’on a vidé la coupe de l’amertume jusqu’à la lie qu’on a pour toutes choses cette indifférence ? Il est très possible que Rosalie ait été jadis enthousiaste, vibrante et sentimentale…

— Je joue l’as de trèfle…

— Vous sauvez les meubles…

— Dame ! j’ai pour principe qu’on doit faire tout de suite les levées qu’on a dans son jeu. Après, à la grâce de Dieu !