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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

nagement, chargée de meubles, de linge et de livres. Il surveillait pour qu’aucun objet ne tombât sur la chaussée. Comme le soleil était accablant, il tenait son chapeau à la main. Le cheval marchait au pas. Les cloches de la cathédrale sonnaient la fin de la grand’messe.

Ce cortège… cette voiture au pas… cet homme, nu-tête… ces cloches… j’ai cru voir passer un enterrement pitoyable…

Celui de mon bonheur !…

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Dès ce moment le journal se poursuit avec une monotonie désabusée. Les plaintes qu’il exhale se font de moins en moins bruyantes. De temps à autre, un mot plus vif, une réflexion plus amère témoignent qu’à cet endroit l’auteur a eu un sursaut de regret. Peut-être un gros sanglot a-t-il gonflé sa poitrine ! Et puis c’est à nouveau la résignation morne, lamentable. Les pages succèdent aux pages, relatant avec minutie, les détails insignifiants d’une existence médiocre. Sur la fin seulement, avec une brusquerie rageuse, leur intérêt se redresse. L’écriture est d’ailleurs sensiblement différente. La main, qui traçait ces lettres heurtées, inégales, devait faire grincer la plume. On remarque plusieurs éraflures du papier… Et le manuscrit se termine ainsi :


4 février.

Il aura fallu cinq ans pour que le mystère fût élucidé… Depuis cinq ans, je devrais avoir une maison à moi ! des enfants à moi ! des domestiques, à moi ! Je devrais être mariée ! Je devrais être heureuse !…

Ah ! ma mère ! je m’interdis de juger les motifs qui vous ont inspirée. Vous reposez maintenant au cimetière et je vais prier chaque dimanche sur votre tombe. Mais vous aurez brisé ma vie !

Vous ne m’avez même pas consultée. Vous ne m’avez informée de rien.

Dans votre vanité, parce qu’elle avait une petite dot, vous avez jugé indigne que votre fille épousât un professeur. Vous espériez peut-être qu’un marquis solliciterait ma main. Vous auriez aimé être la belle-mère d’un marquis !

Vous avez répondu sèchement à Mme Hyacinthe qu’il était impossible, pour des raisons sérieuses, de donner suite au projet qu’elle vous avait soumis.