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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

Elle se demande si les angoisses éprouvées par l’auteur de ce journal ne seront pas les siennes. Est-ce que ces feuillets n’ont pas secoué leur poussière uniquement pour lui crier sur quelle route elle s’engage ? En sera-t-elle réduite elle aussi, a attendre d’avoir trente ans pour qu’un homme descende du trottoir sur son passage un jour de printemps ?

Non, non, elle luttera. Mais déjà, l’imagination aidant, elle s’observe, et croit découvrir des nuances neuves en elle. L’influence du milieu ! Et pourtant elle n’est là que depuis quelques jours…

On se suggestionne facilement lorsqu’on a dix-huit ans !


Mon pauvre chéri, écrit-elle à son frère, je n’ose plus regarder le tableau, qui me représente en robe de bal. J’ai peur de ne pas me reconnaître tant je suis changée. Jusqu’ici, heureusement, je conserve mes toilettes de Paris. Mais qu’arrivera-t-il lorsque je devrai recourir aux bons offices de Mlle Bernet ?

Plains-moi, mon cher Jean, plains-moi.

Les négresses de ton pays, qui ne sont pas obligées d’être les clientes de Mlle Bernet, ne connaissent pas leur bonheur.


Arlette terminera sa lettre ce soir. Ernestine lui annonce la visite de M. le Grand Doyen. Celui-ci est au salon et l’attend.

Bien entendu elle veut descendre au plus tôt. Mais il importe cependant qu’elle se présente en tenue convenable. Deux secondes pour revêtir cette petite robe charmante, une de ses préférées ! et elle est prête.

Elle ne l’est pourtant pas assez vite pour que Telcide ne fasse irruption dans sa chambre.

— Dépêchez-vous… voyons… votre retard est incompréhensible… M. le Grand Doyen vous fait un immense honneur en vous rendant votre visite… Vous ne semblez guère l’apprécier… Vous êtes d’une impolitesse…

— Je vais vous expliquer, ma cousine… les boutons- pressions ne marchent jamais bien quand on se hâte.

— Et qu’est-ce que c’est que cette toilette éhontée ?

— Éhontée ? Une robe grise, couleur terne ! en mousse-