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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

monte. Comme un serpent, qui roule ses anneaux, il absorbe sa proie.

Lorsque le voyageur sent sa poitrine écrasée, les esprits mauvais de la grève commencent à danser devant ses yeux. Ils lui chantent : « C’est à peine si ton âme t’appartient encore. Peu à peu elle se dégage. Tout à l’heure elle rompra sa dernière attache, et grossira le troupeau des démons errants et maudits, qui roulent sans but dans les solitudes… »

Mon imagination est folle… Je me demande à certains moments si je ne suis pas une enlisée… J’ai parfois l’impression que mon âme flotte au-dessus de mon corps…


6 mars

C’est curieux ! Je ne m’ennuie plus.

Je vis ma vie comme on fait une besogne coutumière Si on me demandait pourquoi je suis sur la terre, je répondrais : « Parce que j’en ai l’habitude »

Aucune joie ne m’est sensible. Aucune douleur ne me touche !

Les amies de ma mère trouvent que je deviens une jeune fille parfaite…

Décidément pour moi tout est fini !…


3 mai.

Journal de ma vie, tu as vu tour à tour mes rêves, mes désillusions et ma résignation.

Je veux qu’aujourd’hui, sur ton papier banal, qui en sera transfiguré, s’étende le premier rayon de soleil de l’année. J’écris près de ma fenêtre.

Il fait beau…

J’ai acheté un bouquet de muguet que je ferai sécher entre deux de tes pages. Le printemps jaillit comme un feu d’artifice. Les arbres ont des feuilles d’un vert si tendre qu’on aurait envie de les croquer. Le ciel est clair. Les oiseaux, qui s’en donnent à cœur joie, volent très haut. Les cloches de la cathédrale, qui, l’hiver, n’ont guère la force de chanter plus loin que l’enclos, éparpillent aujourd’hui sur toute la ville et bien au delà des fortifications leurs chansons légères.

Cloches des églises et clochettes des fleurs !

Est-ce la lumière… est-ce mon imagination… est-ce un ancien rêve, qui n’était pas tout à fait mort et qui se secoue… est-ce… est-ce ?… Ce printemps m’émeut délicieusement.

J’ai rencontré tout à l’heure un homme, dont je tairai le nom. Il est descendu du trottoir pour me laisser passer. Il