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elle garde, en les bordant de gazon, les pavés les plus inégaux du Pas-de-Calais.

Je te dirai seulement que j’habite dans l’ombre de la fameuse cathédrale. C’est le quartier le plus silencieux de la ville. On n’y voit passer que des prêtres, des religieuses et des « jeunesses prolongées ». On n’y entend que le bruit des cloches. Les maisons, qui bordent l’enclos Notre-Dame, sont basses. Il paraît que jusqu’en 1806 elles furent habitées par des chanoines. Elles ont encore au-dessus de leurs portes des médaillons et des sculptures décoratives. Ernestine m’a déjà fait remarquer tout cela de ma fenêtre. Ernestine, c’est notre larbine, une bonne fille aux gros bras rouges, qui m’a confié des tas de secrets : ainsi, quand elle mange du poisson, il lui arrive d’avoir de « l’antiquaire ». Quand il fait du vent, elle ne sort pas, car elle déteste d’être « éventrée »…

Ma chambre est petite, avec une seule fenêtre, mais convenable, sauf qu’une odeur de renfermé y rôde en permanence.

Je t’annonce que mes honorables cousines ne portent plus le chapeau vert avec capote de satin miroitant et bride de velours perroquet, qui leur a valu un surnom de la part de leurs concitoyens. Elles n’en sont pas moins ridicules. Avec elles, je me fais l’effet d’être dans une ménagerie, sauf que mes fauves sont des vieilles fauvettes ! Pourtant, seule Telcide m’a paru méchante. Est-elle vexée d’avoir déjà cinquante-cinq ans ? Je l’ignore… En tout cas elle aurait tort de m’en rendre responsable… Je t’assure que je n’y suis pour rien… Il faut voir avec quelle rudesse elle traite sa plus jeune sœur, Marie. Celle-ci, qui est la résignation personnifiée, n’ose même pas protester. Parce qu’elle n’a que trente-cinq ans, Telcide la considère comme une petite fille. C’est tordant !

Jeanne et Rosalie, dans toute la mesure de leurs moyens, m’ont fait bon accueil.

J’ai suivi jusqu’ici les conseils que tu m’as donnés. Jamais une phrase inconvenante, un mot désagréable ne sort de mes lèvres. Je suis tout miel. Et pourtant lorsque je vois, comme maintenant, mes quatre cousines, avec quatre toilettes identiques, quatre gestes semblables, enfoncer avec quatre grimaces, quatre aiguilles dans quatre bouts de tapisserie, il me faut une certaine force pour ne pas éclater de rire.

J’attends une longue lettre de toi me racontant ton voyage. Je t’embrasse très tendrement.

Ta petite,

Arlette.