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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

Une paix profonde règne dans la maison. Avec ses clairs rideaux d’étamine blanche, aux doubles fenêtres, cette salle à manger a l’aspect d’un parloir de couvent.

Dans un coin, quatre tables à ouvrage sont rangées sur un alignement impeccable. Pas un seul bout de fil égaré ! pas une aiguille hors des tiroirs !

Soudain, trois coups de marteau résonnent dans le couloir et la sonnette de la porte commence à s’agiter, dans un mouvement, qui n’en finit jamais.

La chienne aboie dans la salle à manger. Telcide se réveille en sursaut. Tenant avant tout à la correction, elle remet, exactement au centre de sa poitrine plate, son crucifix d’argent et cherche, dans les multiples fronces de sa jupe, celle de ses innombrables poches qui contient son mouchoir.

Marie, qui détesterait d’être prise en flagrant délit d’avarice, remonte la lampe de telle façon que celle-ci se met à filer.

Ernestine se dirige si précipitamment dans le couloir que son lampion, au verre arrondi, est éteint par le courant d’air. Elle doit revenir dans sa cuisine où, comme par hasard, elle est obligée de craquer dix allumettes avant de pouvoir en brûler une.

Enfin… enfin, après les verrous, les clefs, la chaîne, la porte est ouverte.

Rosalie et Jeanne s’effacent pour laisser entrer Arlette devant elles. Celle-ci, malgré tout, a la gorge serrée. Elle ne distingue rien dans ce couloir, immense trou noir, d’où sort une odeur d’humidité. Mais elle entend deux voix. La première est aimable. Elle devine que c’est celle de Marie :

— Bonsoir, ma cousine…

La seconde est sèche :

— Comme vous arrivez tard !

Aussitôt Arlette a senti que Telcide est son ennemie. Pas un mot de bienvenue ! pas une phrase gentille ! Rien qu’un baiser, plus froid que la plus banale des accolades.

Cependant Ernestine crie :

— Mademoiselle Rosalie, faites attention aux marches, vous allez encore glisser…